vendredi, septembre 27

En France, les prix de marché de l’électricité resteront déterminés par ceux du gaz, affirme RTE

Cela promet de relancer les débats sur le juste prix de l’énergie. Même si d’ici à 2030, la France n’utilisera pas ou très peu de combustibles fossiles pour produire son électricité, le prix de celle-ci sur le marché de gros, où les fournisseurs et certains grands consommateurs industriels s’approvisionnent, dépendra toujours du gaz, du charbon et du CO2 « l’essentiel du temps ».

C’est en tout cas ce qu’affirme le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France, RTE, dans un rapport publié la semaine dernière. En analysant l’équilibre offre-demande selon différents scénarios, l’organisme conclut en effet que « l’architecture actuelle des marchés de l’électricité conduit structurellement à une forte volatilité des prix » jusqu’en 2035, qui « n’ont pas de raison de correspondre aux coûts de production français ».

Dans sa trajectoire de référence, ceux-ci sont même couplés au gaz « plus de 75% du temps à moyen terme »… alors même que « la production d’électricité française sera assurée à plus de 95% par des moyens décarbonés – renouvelables et nucléaire – et caractérisés par de faibles coûts variables », peut-on lire. Seulement voilà : les cours de cet hydrocarbure restent très volatils, puisque très sensibles aux chocs géopolitiques et aux politiques climatiques. Ce qui aura un impact indirect sur les factures des Français, étant donné que le tarif réglementé de vente d’EDF sera calculé sur la base du marché de gros dès 2026.

Echanges d’électricité aux frontières

Mais comment est-ce possible ? Concrètement, cela est lié au fait que le marché de l’électricité est interconnecté sur le Vieux continent. Même si l’Hexagone n’avait pas besoin de gaz pour générer son courant en raison du nucléaire et des renouvelables, ses prix de marché dépendraient donc souvent – lorsque les liaisons ne sont pas saturées – des moyens de production activés à l’étranger. Notamment chez ses voisins directs, avec lesquels il échange constamment, comme l’Allemagne, la Belgique ou encore l’Espagne et l’Italie.

O,r « le système européen nécessitera » toujours « quelque part », pour répondre à la demande et en derniers recours, « l’activation de centrales à gaz ou au charbon », explique RTE dans son rapport. Comme en Allemagne, par exemple, qui a choisi de sortir du nucléaire et « dont l’électricité provient encore à 40% de la combustion d’hydrocarbures » pour pallier l’intermittence de l’éolien et du solaire en fonction de la météo, précise à La Tribune l’économiste Jacques Percebois,

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Les prix s’alignent sur les coûts d’activation de la dernière centrale appelée

Sur cette plaque européenne, c’est la dernière centrale appelée qui définit, à chaque instant, le prix de l’électricité dans l’UE. Et ce, pour une raison précise : s’il coûtait plus cher à son propriétaire de mettre en route cette installation plutôt que de ne pas produire, celui-ci privilégierait la deuxième option… ce qui conduirait à un déficit d’offre. En période de pointe, cette ultime centrale appelée en Europe est donc souvent une centrale à gaz, c’est pourquoi l’on entend parfois que les prix de l’électricité sont « indexés » à ceux du gaz.

« Comme ce système est très largement interconnecté et qu’il est marginaliste [la centrale aux coûts de fonctionnement les plus élevés fait le prix, ndlr], les cours du gaz et de la tonne de CO2 jouent forcément un rôle dans l’information donnée aux marchés », explique à La Tribune Thomas Veyrenc, directeur Général en charge de l’Economie, de la Stratégie et des Finances chez RTE.

Surtout, plus les Français se tourneront vers l’électrique afin de délaisser le pétrole, le gaz et le charbon, comme le prévoit RTE, plus ce phénomène risque de s’amplifier. « Dès lors que la consommation […] commence à s’infléchir à la hausse de manière significative pour répondre aux défis de la décarbonation et de la réindustrialisation, les prix de gros peuvent atteindre des niveaux élevés (au-delà de 100 euros/MWh) », peut-on lire. Et pour cause : l’augmentation de la demande exigera de mettre en route des centrales à gaz ou au charbon pour ne pas se retrouver en « black-out ».

Volatilité extrême

Au contraire, à certaines heures de la journée, le phénomène inverse peut survenir – et s’observe d’ailleurs depuis plusieurs mois dans l’Hexagone -. Si la consommation d’électricité ne repart pas à la hausse, comme c’est le cas actuellement, l’offre risque d’être régulièrement excédentaire par rapport à la demande. Ce qui entraînera des périodes de prix bas, voire négatifs, puisqu’aucune centrale fossile ne devra être appelée pour faire l’appoint.

De fait, puisque l’électricité ne se stocke pas à grande échelle, les prix peuvent tomber en-dessous de zéro en période de forte production d’énergies renouvelables et de faible demande, lorsque des actifs non flexibles (comme les centrales au gaz et, dans une moindre mesure, les centrales nucléaires) soumettent des offres négatives pour éviter les coûts de redémarrage. Avant de bondir au niveau des cours du gaz à d’autres moments, lorsque l’éolien et le solaire produisent moins, et que les centrales fossiles sont appelées à la rescousse.

« Le fonctionnement actuel des marchés peut conduire à des alternances entre des périodes de prix bas, dans lesquelles les coûts totaux du système électrique ne sont pas couverts, et des périodes de prix hauts menant à des revenus les excédant largement », précise ainsi RTE.

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Vers une régulation plus poussée ?

Et ces fluctuations posent problème. « Elles n’aident pas les acteurs économiques à se projeter. Si les prix sont trop bas, et ne couvrent plus les frais fixes des centrales renouvelables et nucléaires, ces filières auront besoin de subventions pour ne pas vendre à perte, ce qui pèsera sur les finances publiques. Et s’ils sont trop hauts, cela découragera l’électrification », pointe Thomas Veyrenc.

Dans ces conditions, RTE appelle de ses vœux un « cadre spécifique » pour « stabiliser les prix sur le long terme ».

« En Europe, de nombreux acteurs demandent qu’il y ait des dispositifs de ce type-là. La France [qui s’était opposée à la libéralisation du secteur de l’électricité voulue par Bruxelles dans les années 1990, ndlr] n’est plus l’un des seuls pays à dire que le marché n’est pas suffisant », développe Thomas Veyrenc.

Reste à voir comment réguler ce marché. RTE, lui, ne se prononce pas sur les voies et moyens. Mais évoque l’option d’un retour à l’ « Acheteur unique », ce système qui avait la préférence de la France il y a une trentaine d’années : un gestionnaire public, qui pourrait être EDF ou RTE, procèderait par appels d’offres et négocierait des contrats de long terme avec les différents producteurs. « Les prix s’aligneraient alors sur le coût marginal à long terme, et non sur le coût variable de court terme. Ce qui permettrait de lisser les coûts dans les tarifs payés par les consommateurs », explique Jacques Percebois, favorable à cette méthode. Pour l’heure, cependant, le gouvernement français l’écarte. Et pour cause : EDF s’oppose mordicus à un encadrement poussé du marché, et donc de ses tarifs – qui s’envoleront si les prix de marché augmentent – par l’Etat. Une position intenable ?

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Marine Godelier

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