vendredi, octobre 18

L’État refuse de donner 41.000 euros pour sauver Point de Contact, maillon crucial dans la lutte contre la pédocriminalité en ligne

41 000 euros. C’est la somme qui manque à Point de Contact, l’un des acteurs les plus actifs en France dans la lutte contre les contenus illicites en ligne, pour poursuivre sa mission. Depuis 25 ans, cette petite équipe de six personnes épluche des dizaines de milliers de contenus signalés par les internautes, les catégorise, et les fait si besoin retirer du Web et remonter aux autorités. Un travail de fourmi pour tenter de « nettoyer », ou du moins éponger, le web des contenus problématiques, notamment pédocriminels, haineux, et sexistes. Mais l’association n’est pas parvenue à obtenir cette somme demandée à l’Etat. Son président, Jean-Christophe Le Toquin, a donc annoncé le 29 février sur les réseaux sociaux avoir pris rendez-vous avec le tribunal pour déposer le bilan.

« Compte tenu de la somme dérisoire que nous demandons, ce n’est pas un problème d’argent, mais un problème de fond », tranche-t-il. La nécessité du travail de son organisation semble pourtant évidente. Point de Contact est le premier signalant professionnel auprès de Pharos, la plateforme du gouvernement qui permet le retrait des contenus illicites du web. Jean-Christophe Le Toquin voit la liquidation judiciaire de son organisation comme un moyen de mettre fin à l’illusion de l’engagement du gouvernement sur ses questions, en dehors des discours « et des initiatives qui ne servent à rien ».

« Quand un acteur de terrain, qui travaille sur les contenus pédocriminels, les violences sexistes et sexuelles et les contenus haineux, a besoin d’argent, il n’y a personne pour l’aider. »

L’histoire commence il y a quelques mois. Lorsque Point de Contact cherche à savoir si sa subvention d’Etat est bien renouvelée. Celle-ci constitue normalement un tiers de son budget annuel (qui s’élève à environ 600.000 euros). Une somme qui pourtant ne pèse pas très lourd. Son équivalent américain, le National Center for Missing & Exploited Children (NCMEC), touche de son côté entre 100 et 150 millions de dollars du gouvernement américain chaque année. Les deux autres tiers du budget de Point de Contact proviennent des cotisations des membres (17 au total dont TikTok, Meta, Snap Inc, OVH Cloud…), et l’Union Européenne.

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Un silence radio aveu d’un manque de volonté politique

La plateforme essaie alors de joindre le CIPDR, le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, en charge d’acter ou non sa subvention. A cette période, cette antenne du gouvernement est empêtrée dans l’affaire des fonds Marianne (l’initiative lancée par Marlène Schiappa pour lutter contre la « radicalisation » est visée par une enquête qui montre de nombreuses irrégularités). Et l’organisation n’obtient aucune réponse.

Mais selon Jean-Christophe Le Toquin, ce silence radio est aussi l’aveu d’un manque de volonté politique. « Le discours ambiant du gouvernement est d’affirmer que ce n’est pas au pouvoir public de financer Point de Contact, car c’est aux plateformes de régler le problème », rapporte-t-il. « Aucun ministère n’a alors pris la parole pour nous défendre. » Ce constat est par ailleurs partagé par d’autres acteurs de la lutte contre la pédocriminalité en ligne. Ces derniers estiment que comme le sujet est tabou, beaucoup de responsables politiques préfèrent le mettre sous le tapis.

L’Etat et les plateformes se renvoient la balle

Faute de cette subvention, Point de Contact déclenche alors un « plan de crise » pour continuer à survivre. L’organisation acte le licenciement de deux personnes sur ses six salariés. Mais il lui faut tout de même trouver des fonds supplémentaires, 95.000 euros, pour pouvoir continuer à fonctionner a minima. Car en plus des salaires, Point de Contact investit dans différentes technologies pour pouvoir analyser certains contenus.

Jean-Christophe Le Toquin parvient à regrouper 54.000 euros. Reste donc 41.000 euros. Mais les plateformes membres de l’organisation refusent de cotiser davantage.

« Les acteurs du numérique estiment qu’Internet dépasse le pouvoir des plateformes, et qu’ils font déjà un travail interne pour « nettoyer » leurs propres interfaces. Donc ils ne veulent pas payer pour nettoyer les contenus des autres. Et j’ai de l’empathie pour cette position. »

Car par ailleurs, l’ensemble des plateformes et fournisseurs du web ne sont pas membres de Point de Contact. Chez les acteurs du cloud par exemple, seul OVH en fait partie.

Le Monde note par ailleurs un désaccord entre certains membres de l’association, dont Google, qui estime que le plan stratégique de l’association n’est pas clair. « Depuis plusieurs années, les plans successifs qui ont été proposés pour continuer de faire vivre l’association n’ont offert des solutions qu’à court terme et n’ont jamais été de nature à pouvoir la faire évoluer et la faire vivre de manière pérenne, notamment à l’aune des nouvelles évolutions réglementaires », explique un porte-parole de l’entreprise au quotidien.

Pour trouver les derniers fonds, l’organisation se tourne donc vers les pouvoirs publics, et plus particulièrement le secrétariat d’Etat de la citoyenneté. Contacté par La Tribune à ce sujet, ce dernier n’a pas donné suite pour le moment.

Un laboratoire pour la protection de l’enfance en ligne sans budget

Le silence du gouvernement étonne. Surtout compte tenu des déclarations d’intentions faites ces derniers mois au sujet de la protection des mineurs en ligne. En novembre 2022, Emmanuel Macron a lancé un Laboratoire pour la protection de l’enfance en ligne, dans le but de détecter et de déployer des technologies, notamment pour prévenir la diffusion non consentie d’images intimes. Mais ces initiatives ne reçoivent pas de budget particulier.

Un porte-parole du cabinet de Marina Ferrari, la secrétaire d’Etat au numérique, assure que la lutte contre la haine en ligne et notamment la protection des mineurs reste un engagement fort du gouvernement. En témoigne, dit-il, le projet de loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique (SREN), promulgué et adopté en première lecture en octobre 2023.

Par ailleurs, l’abandon de Point de Contact surprend d’autant plus que le Digital Services Act vient d’être promulgué pour l’ensemble des plateformes et des services d’intermédiaires. Ce texte de loi européen exige des Etats membres la nomination de « signaleurs de confiance », des organisations expertes en matière de signalement. Un rôle que Point de Contact, compte tenu de son expérience, pourrait très bien remplir. Toutefois ces signaleurs ne doivent pas selon le DSA être financés en premier lieu par les plateformes…

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Jean-Christophe Le Toquin a encore une lueur d’espoir. Il espère un réveil du gouvernement face à l’annonce du dépôt de bilan. « Il est aussi possible que le tribunal juge que la situation n’est pas si catastrophique. Et qu’un ministère se décide à mettre de l’argent sur la table ». Le président de l’organisation dit avoir eu le soutien du cabinet de Marina Ferrari, le « seul qui s’est rendu disponible », explique-t-il, mais sans avoir les moyens de peser sur la décision.

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