samedi, septembre 21

Malmené au Salon de l’agriculture, Macron attaque le RN

Il n’a pas entendu les sifflets monter. Les cris. La cohue. Il est 8 heures ce samedi lorsque plusieurs dizaines d’individus déferlent dans le hall 1 du Salon de l’agriculture, croyant apercevoir Emmanuel Macron. La vague furieuse dévale les travées, effraie les limousines et s’attaque au cordon de policiers. Les insultes et les coups pleuvent. « On est chez nous », hurlent certains, reprenant un slogan du RN. Drapeau de la FNSEA au poing, bonnet jaune de la Coordination rurale (CR) sur la tête. Le président n’est pas là, il est en réunion au deuxième étage du bâtiment avec une dizaine de syndicalistes agricoles, loin des hurlements. Il va devoir y rester toute la matinée. Voilà le décor du chaos matinal.

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Quelques instants plus tôt, le secrétaire général de la CR, Christian Convers, confiait, bravache, sur le tapis rouge de l’entrée officielle : « Il ne pourra pas passer, ou alors il sera comme un crabe dans une casserole. » L’intention est claire : empêcher le chef de l’État de déambuler comme le veut la tradition. Face à la menace d’exactions, 700 à 800 policiers et gendarmes sont mobilisés. Du jamais-vu pour l’événement familial de la porte de Versailles.

9 heures : le ruban bleu, blanc, rouge qui barre l’entrée officielle est intact. Emmanuel Macron est alerté. Hors de question de renoncer à la visite. Les syndicats doivent apaiser leurs troupes. Devant les caméras des chaînes d’info, il appelle au calme et dévoile d’ultimes mesures d’urgence pour éteindre l’incendie qui embrase les fermes depuis un mois. Mais les troupes n’entendent pas, elles éructent encore, elles l’attendent pour en découdre, elles l’appellent à démissionner, elles l’insultent…

Le temps semble suspendu, le blocage est complet. 10 h 30 approche et le Salon 2024 vient d’entrer dans l’Histoire pour de tristes raisons. Toujours retranché au deuxième étage, le chef de l’État improvise alors. Il convoque à nouveau les syndicalistes et leurs représentants pour un dialogue à bâtons rompus… mais devant la presse, cette fois-ci. La FNSEA n’a pas voulu du « grand débat » dans le ring aux bestiaux ? Va pour un format réduit. La puissante fédération ravale sa colère, elle a obtenu du président son démenti formel devant les caméras : non, tonne-t-il, il n’a jamais voulu convier au « grand débat » les activistes des Soulèvements de la Terre. Arnaud Rousseau, le président du syndicat, l’avait prévenu mercredi après-midi lors d’une entrevue à l’Élysée : « Il faut se voir avant le Salon, purger les choses, pour que ça se passe le mieux possible. » Pas si simple…

Voilà donc Emmanuel Macron qui tombe la veste, pose son feutre bleu sur une table ronde, encaisse critiques et questions au milieu d’une trentaine de casquettes rouges, vertes ou jaunes. La rencontre est diffusée sur les écrans du Hall 1, de sorte que chaque exploitant suive les annonces présidentielles. Et sur les chaînes d’info.

Pendant deux heures, il a réponse à tout. Il démine, il s’escrime, il rembarre parfois. Il tutoie, souvent. « Attends ! » s’écrie- t-il à plusieurs reprises pour interrompre un propos qu’il juge erroné. Un homme s’avance, portant un tee-shirt « Paysan sans président ». Il le lui fait retirer.

Il ne pourra pas passer, ou alors il sera comme un crabe dans une casserole

Christian Convers, secrétaire général de la Coordination rurale

Le scénario des longs après-midi de sous-préfecture post-Gilets jaunes se déroule de nouveau. Une technique rodée. Il note les questions, s’assure que tout le monde a parlé. Puis il fait exploser la tension : « La ferme France, elle reste forte, elle produit. C’est faux de dire qu’elle est en train de se casser la gueule. » Huées ! Et il répond, longuement, point par point. Tout est évoqué : l’Ukraine, les normes, les pesticides, les prix plancher, les suicides d’agriculteurs…

Les minutes passent et la FNSEA devient plus sensible aux promesses, tandis que la CR a baissé d’un ton. Soudain, une dernière passe d’armes avec le leader des éleveurs de bovins. « C’est un soutien de Wauquiez… », glisse une proche du chef de l’État. Mais l’heure du déjeuner approche et le ruban tient encore. Macron demande aux syndicalistes d’aller parler à leur base, à nouveau. La salle se vide. Nouvelle suspension du temps. Peut-il enfin descendre ?

Parmi les équipes de l’Élysée, certains tentent de le dissuader de baguenauder parmi les vaches. La situation est trop instable. Il s’inquiète alors. Pas pour lui. « Pour les visiteurs », raconte un participant aux huis clos. « Si jamais quelqu’un est bousculé et que ça tourne mal, on dira que c’est à cause de sa venue. » Discrètement, l’Élysée a fait remonter les leaders. Il veut conclure. J’ai débattu, j’ai pris des risques, leur dit en substance Emmanuel Macron. Mais si vous ne tenez pas vos gars, les engagements ne servent à rien… Puis il tranche : un président, ça inaugure les salons, dit-il au petit cercle qui l’entoure. Il va descendre.

Pendant ce temps, Perle, Radieuse, Suisse, Pectine et Rime sont évacuées. Les paisibles normandes laissent place à un renfort de forces de l’ordre. Le préfet de police Laurent Nuñez, lui, pense à cette visite et à toutes les autres qui s’annoncent : « On protège tout le monde, pas seulement le chef de l’État. » Bilan: cinq interpellations et « plusieurs blessés parmi les forces de l’ordre », nous indique-t-il.

Des gens sont venus pour faire monter le Rassemblement national

Emmanuel Macron

C’est à ce prix que le ruban est enfin coupé, à 13 h 30. Policiers et gendarmes forment maintenant une « bulle » impressionnante autour de la délégation officielle. À cent mètres à la ronde, nul badaud ne passe. Le pouvoir est coupé de la foule, mais pas des cris. Une centaine d’agités vocifèrent par intermittence derrière les barrages de CRS, tentant parfois de les forcer. Les enfants et leurs parents devront attendre pour taquiner Oreillette, la vache égérie de cette édition. Une bête impassible. « Elle a du mérite parce qu’elle subit un beau bordel depuis ce matin », s’amuse le président.

Normandie, Aubrac, Savoie… Stand après stand, Emmanuel Macron papote, goûte ici du miel, avale là une rondelle de saucisson. Il reprend des forces. L’heure de la riposte sonne. Pas sur le plan technique. Cette fois-ci, elle est totalement politique. « Les gens qui gueulent, qui manifestent, ils ont un projet politique. Les mecs peuvent continuer, je sais d’où ça vient. » Puis, devant quelques morceaux d’abondance et de beaufort, il désigne les fauteurs de troubles : « Il y a des gens qui sont venus pour mener une campagne politique et faire monter le Rassemblement national. Le RN c’est le parti du Frexit. S’il n’y a pas d’Europe, il n’y a pas d’agriculture. » Des arguments qu’il ressert quelques instants plus tard, dénonçant chez ses adversaires lepénistes « un projet de décroissance et de bêtise ». Tout sauf un hasard. Aujourd’hui, c’est au tour de Jordan Bardella d’arpenter les allées et de tenter de séduire le monde agricole. La bataille des images se déroule tout le week-end. Emmanuel Macron aura tout fait pour obtenir les siennes. Après un déjeuner tardif, il s’offre un petit bain de foule. Comme si de rien n’était. Un conseiller du président souffle : « Cette visite est un succès, vu les circonstances. » À l’Élysée, on se rassure comme on peut.

Nicolas Prissette

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