samedi, octobre 19

Paris 2024 : la « cérémonie du siècle » a dansé sous la pluie

Au moment où le message de fin de la cérémonie s’affichait sur les écrans du Parc des Champions au Trocadéro, là où étaient réunis officiels, invités, médias et athlètes jusqu’au-boutistes, les regards se sont tournés vers le ciel, d’où la pluie se déversait sans retenue depuis plus de trois heures. Elle avait cessé de tomber, et cette cruelle ironie n’échappait à personne. Une pensée émue pour Thomas Jolly.

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Le cerveau artistique de cette furieuse mécanique, qui a bien mérité son titre de « spectacle du siècle », devait sans doute être mortifié vendredi matin quand l’étau météorologique se resserrait sur son bébé et que la France se réveillait avec un réseau ferroviaire saboté. « J’ai alors pensé à cette citation de Sénèque : “La vie, ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie” », a-t-il expliqué hier. Alors le génial metteur en scène a dansé. Et les 22 millions de téléspectateurs français, 1,5 milliard estimés dans le monde, ont assisté à une prestation préenregistrée de Lady Gaga en Zizi Jeanmaire, plutôt que de risquer de la voir glisser dans des escaliers détrempés. Quant aux champions de BMX, ils ont été priés de renoncer aux acrobaties prévues.

Délégation française JO 2024

Le porte-drapeau tricolore Florent Manaudou sur le bateau de la délégation française (Crédits : © LTD / FRANCK FIFE/AFP)

Malgré ces conditions « apocalyptiques », pour reprendre le mot d’un Tony Estanguet soulagé et heureux hier matin, le pari a été tenu : la France a réalisé et réussi la première cérémonie des Jeux olympiques hors stade de l’Histoire. Une prouesse technique et créative. Une fête iconique qui, dans les mémoires, concurrencera le délire so British de Londres 2012. Une superproduction pour tous les goûts et les couleurs de l’Hexagone. Tous ? Dix millions de Français ont récemment voté pour des valeurs moins progressistes que celles mises en avant. Parfois de façon provocante, au point de pousser la chaîne américaine NBC ou la chaîne publique marocaine à censurer les images de Philippe Katerine presque nu.

Elle aura peut-être déplu aux militants écologistes qui auront vu du plastique au Trocadéro comme ailleurs : dans les bâches de protection des caméras, dans les vestes distribuées aux spectateurs, même aux dignitaires dont certains ont longuement déserté la tribune officielle. Dans les rangs des journalistes, les ponchos ont été si lourds d’eau que l’on a repensé à Léon Marchand qui, jeudi, confiait que le bassin de la Paris La Défense Arena n’était pas très profond.

Le nageur toulousain n’a pas eu l’occasion de comparer. Sa fédération n’a pas laissé le choix à ses athlètes : puisque les premiers en lice samedi matin ne pouvaient pas y participer, décision a été prise de n’envoyer personne. Seul Florent Manaudou, porte-drapeau, a participé à la majestueuse croisière tricolore sur le paquebot qui a eu l’air de beaucoup s’amuser. Et a provoqué une vague d’hystérie tout au long des 6 kilomètres. « Une cérémonie pluvieuse mais heureuse », a résumé le quadruple médaillé olympique, qui en a « pris plein les yeux » et a été « ému aux larmes devant Céline Dion » et son Hymne à l’amour.

Céline Dion JO

Le retour de la diva Céline Dion. (Crédits : © LTD / OBS/AFP)

Si, au pied du podium en forme de tour Eiffel, beaucoup d’athlètes semblaient manquer à l’appel, c’est aussi que certains avaient pris la première navette pour se mettre au sec au village olympique. En amont, sur les quais hauts en face du Grand Palais, la pluie est vite devenue un élément d’ambiance, le marqueur d’une cérémonie qui fera date. La déception de ne rien voir de ce qui se passait sur la Seine – les places étaient gratuites – aurait en temps normal été rédhibitoire ; certains sont tout de même partis avant.

Félicité républicaine

Mais une fois le spectacle lancé, elle a été largement compensée par l’envie de participer. La prestation d’Aya Nakamura accompagnée de la Garde républicaine a mis tout le monde d’accord. Les spectateurs étaient d’accord aussi pour s’ambiancer sur le tube de Gala. Ovationner l’Ukraine. Les États-Unis. Le discours de Tony Estanguet. Et huer Emmanuel Macron. Des ondes positives pourtant, partout. Même pour entrer dans le périmètre de sécurité, où la minutie des fouilles a pu paraître longue – beaucoup moins que les trois heures annoncées – mais a rassuré. L’attitude des forces de l’ordre, cordiale, a été appréciée et a joué un rôle clé dans le bon déroulement de la soirée, y compris dans l’écoulement des foules. Au pied du musée d’Orsay, sur le chemin du retour, la foule leur envoyait des cœurs, des « merci » des « bon courage ». Félicité républicaine. Un moment d’unité, rêvé par Paris 2024, enluminé un peu plus tôt par l’allumage de la vasque géante au milieu des Tuileries.

Pont d’Austerlitz JO 2024

L’animation du pont d’Austerlitz. (Crédits : © LTD / ANN WANG VIA AFP)

Au parc de Belleville, un des plus beaux points de vue de Paris, Stéphanie aurait aimé savourer le show. Armée de son impressionnant objectif 600 mm, la photographe amateur est déçue : « La visibilité est trop mauvaise. » Jorge est plus enjoué. Ce Chilien de 52 ans n’a pu s’empêcher de lâcher un « qué bonito » au moment où les Alpha Jet ont fait leur irruption dans le ciel gris. Il a déboursé aux alentours de 10 000 dollars pour emmener sa femme et ses deux enfants suivre les deux semaines de compétition. La cérémonie d’ouverture ? « Trop chère, j’ai préféré prendre des places pour les finales d’athlétisme. »

La prestation d’Aya Nakamura avec la Garde républicaine a mis tout le monde d’accord

Au parc Monceau, l’atmosphère est festive. Plus de 300 personnes se sont réunies dans l’une des fan zones de la Ville de Paris. Malgré le manque d’abris, l’expérience n’a pas déçu Pierre-Antoine et Justine : « C’était vraiment incroyable, pourtant nous sommes là depuis 21 heures sous la pluie ; mais l’ambiance est vraiment bonne, tout le monde danse, hurle dès que son pays passe à l’écran. » La foule a un temps perdu patience, mais il aura suffi d’une apparition de Zinédine Zidane, puis de Rafael Nadal, pour relancer l’euphorie générale.

À deux pas, avenue Hoche, plusieurs centaines de Belges se régalent de leur soirée, à l’abri de la cossue « Belgium House » du comité olympique local. Conquis d’avance, tous ne demandent qu’à communier, à fêter le début des JO. L’équipe olympique des réfugiés s’attire des applaudissements nourris. La délégation belge, bien sûr, triomphe lors de son apparition. Puis l’attention descend, les bières avec. Aya Nakamura réussit ici aussi le carton de la soirée, jusqu’à l’apparition de Céline Dion, qui la supplante. Certains convives quittent les lieux pour se masser devant le Royal Monceau, 200 mètres plus loin, pour apercevoir la star canadienne. À l’heure du bilan, le triomphe n’est pourtant pas total. « C’était trop long malgré quelques grands moments », jugent plusieurs convives, dont Samantha, une Bruxelloise exilée à New York. Cela n’a pas empêché le quotidien belge Le Soir de barrer sa une d’un « Paris est magique », et la presse étrangère de se montrer souvent élogieuse, sans être unanime. Le Washington Post a salué un « renouveau triomphal du spectacle des Jeux, un mélange dynamique de patriotisme ardent et d’internationalisme clinquant ». CNN a parlé de « génie » et le quotidien espagnol Marca a salué la « meilleure cérémonie de l’Histoire ».

Lady Gaga JO 2024

L’artiste américaine Lady Gaga. (Crédits : © LTD / PA PHOTOS/ABACA)

En Italie, La Repubblica a critiqué un « défilé d’autocélébration qui a laissé les athlètes dans l’ombre ». En Angleterre, le Guardian s’est plaint d’un « rendu inégal » et d’un « manque de classe ». La BBC a peut-être résumé le sentiment général. : « Parfois, c’était bizarre – à un moment Lady Gaga est entourée de plumes roses et noires en chantant en français, le moment d’après les athlètes du Bangladesh étaient présentés sur le bateau. Mais la plupart du temps, c’était frénétiquement brillant et même parfois émouvant. »

Le « Washington Post » a salué « un renouveau triomphal du spectacle des Jeux »

Et au bout, une communion entre Français, deux mots qui s’accordent mal depuis trop longtemps. Cette impression simple et puissante de vivre ensemble un moment hors du temps, au milieu d’une séquence nationale pénible. « Depuis la cérémonie, j’ai trop envie de rigoler, ça m’a mis la pêche », lançait une ado à une autre dans le métro parisien.

En chiffres

22 millions de téléspectateurs français

1,5 milliard de téléspectateurs dans le monde

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