dimanche, septembre 22

Spatial : méga-constellations, un nouveau Far West à réguler

Une nouvelle conquête spatiale a débuté. Aux États-Unis, en Chine et en Europe, des géants des nouvelles technologies et grands opérateurs veulent coloniser l’orbite la plus proche de la Terre (orbite basse) avec des dizaines de milliers de satellites. Capables de fournir un Internet ultrarapide en tout point du globe, ces méga-constellations aiguisent l’appétit des industriels. Les États, eux aussi, sont intéressés. Aux yeux des gouvernements, ces constellations constituent une technologie de choix pour conserver une connexion sécurisée quand les réseaux terrestres sont défaillants. En découlent des enjeux de souveraineté : pas question pour le Vieux Continent, le pays de l’Oncle Sam ou l’empire du Milieu de dépendre du bon vouloir d’un réseau étranger.

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L’engouement pour les méga-constellations est déjà bien réel. Des milliardaires tels qu’Elon Musk (avec Starlink), Jeff Bezos (et son projet Kuiper) et Greg Wyler (E-Space) lorgnent ce filon. Ils envisagent, respectivement, de lancer 30 000, 3 250 et 100 000 satellites ! Mais ce nouveau Far West spatial que devient l’orbite basse squattée par ces légions de satellites suscite des inquiétudes, en particulier pour des raisons environnementales.

Risque de catastrophe

Trois institutions, le Centre national d’études spatiales (Cnes), l’Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep) et l’Ademe, l’agence de la transition écologique, veulent prendre le sujet à bras-le-corps. Elles organisent ce lundi une première conférence à Paris. L’objectif : mesurer l’impact sur l’environnement des méga-constellations, aujourd’hui inconnu.

Aux yeux de Laure de La Raudière, la présidente de l’Arcep, la multiplication de ces projets « n’a pas de sens ». « Nous risquons un embouteillage, renchérit Sylvain Waserman, le président de l’Ademe. Nous nous rendons compte que l’espace que l’on pensait infini et sans limites ne l’est pas. » À la tête du Cnes, Philippe Baptiste insiste sur le risque d’un « hypertrafic » en orbite basse, notamment nécessaire à la lutte contre le changement climatique. « C’est un sujet crucial, poursuit-il. Nous avons tous en tête les catastrophes qui pourraient arriver si nous avions trop d’objets incapables de manœuvrer. » Sa crainte ? Que des collisions entre les satellites se multiplient, générant des débris qui, eux-mêmes, augmenteraient le risque de collisions. « C’est, potentiellement, toute l’orbite basse qui pourrait disparaître », prévient Philippe Baptiste.

Ce constat permet à l’Arcep de se positionner, comme l’assume Laure de La Raudière, en « lanceur d’alerte ». Aujourd’hui, le gendarme des télécoms dispose de nouveaux pouvoirs pour mesurer l’empreinte carbone du numérique et collecter des données auprès des acteurs français. Mais il est démuni face aux principaux opérateurs des méga-constellations, qui sont américains et chinois. « Je n’ai, par exemple, pas la base légale pour récupérer des données auprès de Starlink parce qu’il n’est tout simplement pas implanté en France », regrette-t-elle. Comment compte-t-elle contourner cette situation ? Avec davantage d’exigences environnementales à l’échelle européenne. L’idée serait, par exemple, d’« avoir un levier juridique » pour refuser des fréquences aux opérateurs des constellations « qui ne respectent pas certaines normes environnementales » en matière de fabrication et de lancement de satellites.

Résilience de l’Ukraine

Pour autant, ces préoccupations sont-elles compatibles avec les exigences de souveraineté des États ? « Les gouvernements doivent avoir la certitude de pouvoir continuer à communiquer de manière sûre, y compris s’il y a des incidents majeurs sur des câbles télécoms sous-marins, explique Philippe Baptiste. C’est tout de même quelque chose qui a beaucoup de valeur dans un environnement géostratégique qui est très, très secoué aujourd’hui. » Grâce à Starlink, l’Ukraine a fait preuve de résilience contre les brouillages et destructions d’infrastructures télécoms de la Russie destinés à l’aveugler. Cela dit, les méga-constellations sont incapables de remplacer, du moins pour le moment, les réseaux terrestres, les seuls capables d’absorber la totalité de la demande mondiale (Internet et communications).

Pour sa part, Sylvain Waserman considère que l’écologie peut, sur le plan de la souveraineté, constituer un atout pour l’Europe. « Réglementer en fonction de l’impact environnemental » permettrait, selon le président de l’Ademe, de « privilégier une constellation européenne par rapport à une constellation américaine ou chinoise sans se fracasser sur les règles de l’OMC [Organisation mondiale du commerce] ».

Au-delà de la souveraineté, la question de la compétitivité des acteurs français, voire européens, dans une industrie mondialisée se pose. De nouvelles normes pourraient, en particulier, pénaliser Airbus.

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